jeudi 27 mars 2014

L'invention de nos vies / Karine Tuil

Samuel, Samir et Nina sont amis et étudiants à la fac de droit à Paris. Samuel et Nina sont en couple, mais, alors que Samuel se rend aux funérailles de ses parents morts dans un accident de voiture, Nina et Samir tombent amoureux. Au retour de Samuel, c'est le drame : il se taille les veines en plein amphi, et Nina décide de rester avec lui par pitié. Vingt ans plus tard, Nina et Samuel sont toujours ensemble, Samuel a raté sa vie, coincé en banlieue sans avoir pu devenir l'écrivain qu'il souhaitait, et tout amour entre eux semble avoir disparu depuis longtemps. En regardant la télé, ils reconnaissent Samir, qui se fait appeler Sam Tahar et à qui tout réussit : grand et célèbre avocat au barreau de New-York, il s'est marié avec une riche héritière juive. Mais juif, il ne l'est pas du tout ! Samuel et Nina s'aperçoivent alors que Samir a repris à son compte des éléments de la vie de Samuel (la mort des ses parents, les origines juives...) sur lesquels toute sa réussite est basée. L'heure des retrouvailles a sonné...

Karine Tuil part du classique triangle amoureux, deux hommes et une femme, et brosse le portrait de trois êtres emprisonnés dans leur vie suite à leurs (mauvais) choix. Toute la vie de Samir repose sur un mensonge, qui le ronge et l'empêche d'être lui-même. Nina a choisi de rester avec Samuel, cédant au chantage qu'il lui imposait. Et Samuel a raté sa vocation d'écrivain et son métier d’éducateur social. La réunion des trois leur offre la possibilité de changer, de revenir sur leur passé : en retrouvant Nina, Samir peut enfin être lui-même tandis qu'elle se libère de l'emprise malsaine de Samuel, et Samuel puise dans son désespoir pour écrire le livre tant attendu. Mais, tout est loin d'être idyllique et le passé les rattrape : la vie que Samir s'est construite est menacée, Nina passe d'une prison à une autre, certes dorée, et Samuel devient victime de son succès. Si l'ascension peut être lente, la chute et les désillusions sont toujours rapides et brutales !

Karine Tuil pose les questions suivantes : peut-on revenir sur son passé et sur les choix qu'on a faits ? Peut-on construire toute sa vie sur un mensonge ? Son écriture est parfois déchainée : elle accumule les mots séparés par des slash, ce qui saccade la lecture et donne un rythme rapide au roman, et construit aussi des phrases très longues, qui en disent beaucoup sur le déferlement des pensées des personnages. Elle malmène ses personnages, ne leur épargnant aucun défaut, aucune épreuve. Le tout donne un roman prenant dont on lit très rapidement les quelques cinq cent pages, même si certaines situations sont tirées par les cheveux, un roman qui interroge les questions de l'identité et des origines.

Ce que j'ai adoré : Karine Tuil rajoute des notes de bas de pages pleines d'humour pour des personnages qui apparaissent dans le roman, personnages secondaires, croisés une seule fois, pour lesquels elle résume la vie en quelques mots.
Par exemple :
"Après avoir étudié les sciences politiques, Ethan Weinstein était devenu sénateur démocrate pour "emmerder" son père."
"Linda Delon, 28 ans, s'appelait en réalité Linda Lamort. Avait modifié son nom pour changer son destin."
Ma préférée : "Cette femme, c'est Maria Milosz, et sa vie mérite plus qu'une note de bas de page."

Lu dans le cadre du Prix Océans.

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