mercredi 15 juin 2011

Le Roi pêcheur de Julien Gracq

Lors de mon séjour tout récent en Bretagne, j'ai eu l'occasion de visiter le Centre de l'Imaginaire Arthurien, dans le château de Comper. Le centre propose une exposition (cette année sur Morgane et Mélusine) et surtout, une librairie d'ouvrages sur les légendes arthuriennes, de Brocéliande et de Bretagne. Pour les passionnés du monde arthurien, cette librairie est une mine d'or. Je suis repartie avec quelques livres, notamment Le Roi pêcheur de Julien Gracq.

Julien Gracq est né en France le 27 juillet 1910. Son premier roman publié en 1938, Au château d'Argol, est désigné par André Breton comme le premier roman surréaliste. Il se fait connaître avec Le Rivage des Syrtes, qui remporte en 1951 le prix Goncourt mais que l'écrivain refuse. Il meurt le 22 décembre 2007, après de nombreux récits de fiction, récits autobiographiques et réflexions sur la littérature de son époque.

Le Roi pêcheur est la seule pièce de théâtre écrite par Julien Gracq, publiée en 1948 et créée au Théâtre Montparnasse de Paris en 1949. Il s'agit d'une réécriture du mythe arthurien et notamment de l'histoire de Perceval, largement inspiré du Parsifal de Wagner.

"Wagner est un magicien noir - c'est un mancenillier à l'ombre mortelle - des forêts sombres prises à la glu de sa musique il semble que ne puisse plus s'envoler après lui aucun oiseau." (Avant-propos, p.14)

Dans le château de Montsalvage, tous, chevaliers et dames, attendent l'arrivée du Simple, du Pur qui viendra les délivrer et soigner leur roi. Amfortas, le roi du Graal et du château est terriblement blessé, la cuisse transpercée par une lance. "La plaie est affreuse. On dirait une bouche qui mâche une écume de sang noir. les lèvres bougent." (p.21).
Le Graal refuse de se montrer depuis la faute d'Amfortas, qui a été séduit par la belle Kundry, aujourd'hui aide-soignante dévouée. Cette maladie qui le ronge, altère aussi le château et le royaume, où le jour tombe, comme la nuit, enveloppé d'un brouillard humide et étouffant. "C'est le silence du Graal. Nos yeux s'éteignent, notre oreille s'endort, notre souffle se raccourcit et se gèle depuis qu'il n'est plus que pierre froide pour nos cœurs, et pain chiche et amer pour notre bouche. Depuis la faute d'Amfortas." (p.20).
Arrive alors Perceval, jeune, beau et fort chevalier, en quête du Graal. Clingsor, ennemi du roi Amfortas et du Graal, le repère et tente par tous les moyens de l'empêcher de réveiller le Graal...

J'ai beaucoup aimé cette pièce de théâtre et le beau langage poétique de Gracq, qui a su rendre avec brio l'atmosphère lourde et pesante qui règne sur le château. On reconnait très bien le mythe arthurien dans cette pièce, et notamment la trame de Perceval ou le conte du Graal de Chrétien de Troyes, mais Julien Gracq ajoute des éléments nouveaux que j'ai beaucoup appréciés. En effet, le Graal apparaît comme dangereux tant il éblouit ceux qui le contemplent, voire brûle ceux qui ont pêché. Être roi du Graal revient à endosser une lourde charge, quitte à le regretter : "Le Graal est exigeant. On n'endosse pas, comme un costume, ne fût-ce qu'un reflet de la divinité" (p.139). Julien Gracq fait du Graal un objet, quasi-vivant, terrible, purificateur sans concession, assez loin de l'image traditionnelle du Graal et de sa fonction nourricière. Le Mal ne vient pas forcément de là où on l'attend dans cette très belle pièce de Julien Gracq, dont je conseille vivement la lecture.
 
Extrait : 

 ".....les pont-levis s'abaisseront, et les femmes du château le laveront, le parfumeront et le vêtiront de samit, de soie d'Orient et de fourrures de Varangie et le roi le priera au soir dans la grand'salle. Et les chevaliers siègeront à leur rang sur les lits de brocart d'or. Et les portes d'ivoire s'ouvriront, et les trompettes sonneront, et Montsalvage, jusqu'aux plus creux de ses pierres ne sera plus qu'un seul souffle suspendu. Et le Graal sera porté par des vierges de haut lignage sur un plateau de pierres précieuses, et il sera lumière, musique, parfum et nourriture. Et le Graal sera porté devant le Très Pur, et les lèvres du Très Pur murmureront la question qui brise les charmes : "Quel nom est le lien, le plus éclatant que la merveille ?". et la Colombe descendra sur les airs, le Graal éclatera dans la splendeur, la plaie d'Amfortas guérira, la vie coulera aux veines dans toute sa force, et le Très Pur règnera avec honneur sur Montsalvage." (p.30)

Les extraits sont issus de Le Roi pêcheur de Julien Gracq aux éditions José Corti.

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